Processi contro i moriscos di Daimiel (1538-1555)

Dizionario di eretici, dissidenti e inquisitori nel mondo mediterraneo
Edizioni CLORI | Firenze | ISBN 978-8894241600 | DOI 10.5281/zenodo.1309444


L'Inquisition et les morisques de Daimiel
par Jean Pierre Dedieu

Le bourg de Daimiel, situé dans la Manche, au nord-est de Ciudad Real, appartenait depuis les origines (1483) au district de l'inquisition de Tolède et fut toujours résidence d'un commissaire du tribunal. Siège à la fin du XVe siècle d'une notable communauté juive, il ne paraît pas cependant faire l'objet d'un intérêt particulier de la part du tribunal. Sa célébrité inquisitoriale lui vient de sa communauté morisque de quelques centaines d'individus. Une soixantaine furent poursuivis pour mahométisme ou pratique de la magie entre 1538 et 1555. 44 procés sont conservés, qui contiennent plusieurs centaines de témoignages dont il est possible de recouper les données. Cette exceptionnelle densité documentaire a permis de mener une étude approfondie de la vie religieuse et de l'insertion social des "morisques anciens" dans un milieu chrétien, ainsi que des modes d'action de l'inquisition face à des communautés structurées.
Il en ressort que, convertis en 1502, les moriques avaient au milieu du XVIe siècle pratiquement perdu de vue le contenu rituel de l'islam et que les vestiges subsistants étaient en train de s'effacer rapidement. Les pratiques funéraires furent certainement celles qui résistèrent le mieux. Pour le reste, le constat est sans appel: oubli des prières, des dates du jeûne, abandon de la circoncision bien sûr, consommation de vin de plus en plus importante, affaiblissement enfin du tabou sur le porc. De même les éléments culturels moins directement liés à la religion: plus personne ne connaissait l'arabe, le vêtement, les modes de vie, les pratiques culinaires, les métiers étaient très semblables à ceux des 'vieux-chrétiens' de l'endroit: rien dans les apparences extérieures ne permettait de faire la différence.
Les morisques pourtant, ou du moins un groupe important parmi eux, restaient musulmans et se pensaient comme tels. Ils étaient disciples de Mahomet, face aux chrétiens qui l'étaient du Christ. Leur islam était essentiellement volonté d'islam sans autre contenu réel qu'un calque négatif du christianisme souvent surprenant, mais il n'en était pas moins effectif. Au delà des vestiges rituels que nous avons mentionné, il se traduisait par le maintien d'une conscience d'appartenance à une communauté islamique globale. La conscience d'islam se traduisait par une endogamie qui paraît absolue encore au milieu du XVIe siècle, et par une l'affirmation au quotidien d'une identité de groupe qui conduisait à prendre automatiquement parti pour les siens dans toutes les querelles. Subsistaient les traces de l'ancienne république islamique qui, sous la protection des rois chrétiens, avait survécu jusqu'à la conversion: elle avait ses notables, à qui elle reconnaissait un rôle dirigeant, elle entreprenait des démarches collectives, elle s'imposait à des fins charitables jusque dans les années 1530, puis pour payer les frais des ambassades qu'elle envoya à plusieurs reprises à la cour pour tenter de parer les coups de l'inquisition. Aux yeux des morisques, Daimiel s'inserrait dans le cadre des 'Cinq villes de la Manche', un ensemble de communautés musulmanes qui constituaient une unité administrative avant la conversion et continuaient à agir ensemble après: c'est toujours dans ce cadre que les morisques de Daimiel menèrent leurs démarches collectives. Ils se considéraient enfin solidaires politiquement de l'islam universel: on les vit s'attrister de la prise de Tunis par Charles V et se réjouir des déroutes chrétiennes qui suivirent. Il est difficile à partir des sources inquisitoriales d'évaluer la prévalence d'un islam qui, à la date des procès inquisitoriaux, semble déjà inégalement partagé. Sa force est cependant indéniable. Elle est d'autant plus nette que les vieux-chrétiens rendaient aux morisques la monnaie de leur pièce et les rangeaient tous dans le même sac d'une image collective négative , selon les mécanismes bien connus de la discrimination.
L'inquisition fut attirée à Daimiel par l'existence d'un gibier, à une époque où, après l'élimination des judaïsants de première génération, elle manquait de matière. Elle le fut aussi par une famille nouvelle-chrétienne de juifs, les frères Oviedo, en pleine ascension sociale et soucieux de se blanchir. Excellents connaisseurs du monde morisque local - l'un d'eux était l'amant de la belle-fille de l'un des principaux notables morisques, Lope de Hinestrosa -, ils lui indiquèrent les failles par où faire éclater le mur de silence que Daimiel opposa aux inquisiteurs. Les premières enquêtes, en effet, furent décevantes. Des dizaines d'informateurs potentiels, vieux-chrétiens pour la plupart, furent interrogés sur les us et coutumes des morisques. Ils se montrèrent évasifs. L'effilochement des pratiques, la margination des morisques par la société vieille chrétienne, leur vif sentiment d'appartenance à une communauté à part ressortaient nettement de cette enquête préliminaire, mais rien de suffisament précis contre une personne en particulier qui permette d'entamer une procédure. Les Oviedo débloquèrent la situation. La belle-fille d'Hinestrosa haïssait son beau-père. Après maintes pressions de son amant, elle accepta de raconter comment il organisait à son domicile des réunions cultuelles où un autre de ses gendres, morisque aragonais, lisait des textes aljamiados. Le mécanisme de la 'complicité' pouvait se mettre en place: arrêté, Lope dénonça ses proches, qui en dénoncèrent d'autres, qui à leur tour en dénoncèrent d'autres. Par un effet de boule de neige, plusieurs centaines de morisques des Cinco villas se trouvèrent inculpés, plusieurs souvent arrêtés, leurs biens sequestrés ou confisqués.
Un édit de grâce mit alors fin aux poursuites (1546) et les inculpations qui n'avaient pas encore débouché sur une sentence furent abandonnées. Les prisonniers furent relâchés. Une seule peine de mort avait été effectivement prononcée. Le sentiment de communauté, qui soutenait l'identité morisque, cependant, était brisé: tous savaient avoir été dénoncé par des proches et en avoir dénoncé d'autres, sans que personne sache vraiment qui avait dit quoi. Par ailleurs, le risque était maintenant trop grand. Les morisques s'assimilèrent à marche forcée, comme les nouveaux-chrétiens de juif avant eux, et pour les même raison: la survie de la famille avait la priorité sur son identité religieuse. Après maintes traverses, les morisques de Daimiel réussirent, au début du XVIIe siècle, à éviter l'expulsion au titre d'assimilés et véritables chrétiens. Ils restaient marginalisés. La dernière fois où les sources inquisitoriales mentionnent les morisques des Cinco villas, le commissaire du Saint Office de Villarrubia de los Ojos les fait chanter sous la menace d'une dénonciation. C'est en 1645. L'on sait encore alors qui est morisque et la chose a valeur de classification sociale.
Daimiel attire l'attention sur le ressort le plus notable de l'efficacité de l'inquisition: sa capacité à agir socialement. En dépit des apparences, même lorsque la procédure prend l'aspect d'affaires individuelles, ce n'est pas l'individu qui est visé, c'est le groupe, que l'on casse. L'individu suit: sans le groupe, il n'est rien. Daimiel par ailleurs, tout comme Montaillou ou les travaux menés sur Carranza, illustre les potentialités des sources inquisitoriales pour l'étude en profondeur de milieux précis. Le mécanisme de la 'complicité', inhérent au travail inquisitorial, facilite l'obtention de dossiers chaînés, portant tous sur le même objet, permettant le croisement d'un information multipolaire finement analysée.

Bibliographie

  • Dedieu, Jean Pierre. 1983. Les morisques de Daimiel et l'Inquisition - 1502-1612. In Cardaillac, Louis (éd.), Les morisques et leur temps, Paris, CNRS, Paris, pp. 496-522.
  • Dedieu, Jean Pierre. 1984. Morisques et vieux-chrétiens à Daimiel au XVIe siècle. in Temimi, Abdeljelil (éd.), Religion, identité et sources documentaires sur les morisques andalous, Tunis, Institut Supérieur de Documentation, Tunis, vol. I, pp. 199-214.

Voir aussi

Article written by Jean Pierre Dedieu | Ereticopedia.org © 2014

et tamen e summo, quasi fulmen, deicit ictos
invidia inter dum contemptim in Tartara taetra
invidia quoniam ceu fulmine summa vaporant
plerumque et quae sunt aliis magis edita cumque

[Lucretius, "De rerum natura", lib. V]

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